Les diamants ne sont pas tous éternels

Grigori est né dans un trou paumé en Russie, de cette ville miniature il ne se souvient que du froid et des 6 mois d'hiver sibériens par an, de quelques flashs d'une lumière si atypique et du bruit si singulier du verre qui se brise au sol. Pourquoi ? Il n'en sait rien, si on lui demande il ne se souvient pas avoir vu un de ses parents boire ou d'excès de violence de la part de quiconque. C'est juste un son qui résonne parfois quand il essaie de repenser à Aikhal ou Iakoutsk les deux seules villes qu'il ait connu en Russie. Ni Moscou ni Saint-Pétersbourg sauf quand vint le jour de partir pour fuir la tristesse et la fin du cercle soviétique.
A 6 ans il s'envolait pour Edimbourg.
Ses parents étaient tous deux joailliers et s'étaient installés en Iakoutie pour avoir accès à moindre coûts aux réserves d'or, de diamants et d'autres métaux précieux qui étaient présents dans cette région de Sibérie. Ils restèrent bien 20 ans sur cette terre stérile et trouvaient également le moyen de s'occuper en donnant naissance à deux garçons. Liev, un garçon calme, curieux et aussi doux que l'agneau de Dieu. 6 ans après vînt Grigori, à la curiosité insatiable et pourtant patient comme personne d'autre ne l'était à son âge. Les deux étaient inséparables.
Le jour de leur arrivée en Ecosse beaucoup de choses furent abandonnées, leur histoire et culture ne faisaient plus partie de leur identité. A 6 ans le jeune Grigori ne perdait au final rien, trop jeune pour se souvenir de quoi que ce soit à part de simples pièces sans le moindre sens qui revenaient le hanter de temps à autres. Son frère n'eut pas cette chance et cette différence les sépara rapidement jusqu'au point où ils ne se verraient que des années plus tard.

Grigori était ce gamin qui, parce qu'il était différent physiquement et avec une orthographe bien spécifique du prénom Grégory, était mis à l'écart "Pourquoi tu as cet accent ?" "T'es pas un peu bizarre comme gars ?" "Si j'te donne de la vodka tu te fous à poils ?" et forcément, face à ça il ne trouva qu'une réponse : La violence. Bien souvent il se prenait plus de baignes qu'il n'en distribuait mais il se battait, encore et encore et il aimait ça. Les autres aussi, c'était un peu ce rite de passage obligatoire. Etais-tu Russe ou Ecossais ? Le Russe se battait pour gagner, l'Ecossais se battait pour un idéal sans crainte de perdre.
Ses parents étaient parfaitement intégrés et respectés, ils gagnaient bien leur vie et n'étais pas ces sales immigrés venus profiter de la richesse du Royaume-Uni et de la grande et belle Ecosse, leurs fils étaient aussi connus dans le quartier.
Liev comme ce petit rat de bibliothèque aux allures d'anges, érudit et fascinés par ses racines et Grigori comme le petit bagarreur et adorable cancre.
En vrai, Liev était juste en manque de sa patrie d'origine et s'inscrivait à tous les cours disponibles auprès d'expatriés pour se sentir Russe ne serait-ce qu'une seconde de plus. Le reste du temps il faisait ce que bon ado de 18 ans faisait : "If you win, party hard. If you lose, party harder!" Sa vie partait bien en couille mais ça lui était égal, la façade tenait bon devant les gens et son petit-frère et c'était le plus important.
Grigori ne tarda cependant pas à suivre les traces de son aîné, plus frivole encore, plus casse-cou aussi. Internet arrivait doucement et il voyait ces films et vidéos où des gens se dépassaient sans cesse. Parkour, roller, il était un sportif et délaissa ses études pour être avec des potes à fumer, boire et faire les cons.

Cependant il avait cette adolescence aussi banale que n'importe qui n'ayant pas à travailler pour survivre.
C'est bien plus tard, à 24 ans que les choses se sont emboîtées :

Liev était revenu, plus Russe que Nicolas II et plus communiste que Lénin et surtout plus dépravé que son idole, Raspoutine. Grigori avait gardée cette image nostalgique de son frère, le doux-rêveur de verts pâturages en Russie et quelle était sa déception de revoir l'enfant prodigue revenir fin défoncé. Ils partagèrent un appartement tous les deux pendant 2 ans, loin des parents, loin des indélicates oreilles d'Edimbourg. Londres était un peu un repère miteux où ils se cachaient en attendant des jours meilleurs qui ne vinrent jamais.
Un soir, Grigori décida que même bourré, il pourrait les ramener d'une soirée défonce. De Camden à Islington il n'y avait que 20 minutes et la route était toujours dégagée à cette heure, sauf pour quelques connards de bus et de cyclistes. Pédés de cyclistes en shorts nylon. Les deux parlaient, ils étaient bien, ils étaient toujours bien jusqu'au moment où Liev ne bougea plus. Grigori pensait juste halluciner en voyant un léger halo bleu autour des mains de son frère. Il inspira, se concentra sur la route et comme sorti de nulle part ce petit mot termina la soirée "Désolé."
Quelques secondes plus tard leur voiture était encastré à l'arrière d'un bus faisant la une de quelques tabloïds à Londres et à Édimbourg. "Terror as two Londoners crash into Boris Bus killing 4"
La suite est simple, Grigori y laissa une jambe et plusieurs mois de sa vie dans un lit d'hôpital puis quelques autres pour se redresser et marcher.

Ce qui s'est passé cette nuit-là il ne peut se l'expliquer cependant il est persuadé qu'il entendait Liev lui dire de tenir le coup à chaque fois qu'il ouvrait les yeux. Il ne savait pas pourquoi mais il était persuadé qu'il n'avait pas halluciné à ce moment ni maintenant : Il lui arrive parfois de revoir son frère au détour d'un bus ou dans le reflet d'un miroir. Et plus le temps passe et plus il est convaincu qu'il n'est pas aussi seul qu'il le souhaiterait quand il ferme les yeux.
Aujourd'hui il est en rééducation à temps partiel passant son temps libre enfermé chez lui pour ne pas subir ces hallucinations et essayer de se rattacher, petit à petit, à son passé en réapprenant l'histoire de son pays et sa langue. Comme l'aurait probablement souhait son frère aîné.